« C’est à cause de vous si on n’a pas d’avenir! »
Bonjour,
Je lis et j’entends parfois des phrases qui disent en substance: « C’est à cause de vous si on n’a pas d’avenir! ».
Ah, vraiment? Mes parents et mon frère vivaient dans un deux pièces. Quand je suis arrivé dans ce monde, mes parents ont déménagé dans un quatre pièces de 65 m2. Mon père allait au travail à pied car « son » usine était située à cinq minutes de notre appartement. Nous n’avons eu une voiture que lorsque j’ai eu sept ou huit ans. OK, c’était une DKW Junior à moteur deux temps et ça, ça pollue. C’était mal.
Nous avons eu le téléphone – fixe, pas de portables à l’époque – quand j’ai eu … dix-huit ans. Avant, on se faisait appeler chez une voisine. J’ai pris l’avion pour la première fois à 25 ans. Ma mère qui a 90 ans n’a jamais pris l’avion et n’est jamais sortie d’Europe.
Nous passions nos vacances – deux semaines en été au maximum et encore pas toutes les années – dans un appartement ou un chalet à la montagne. Je me rappelle d’un de ces chalets: les toilettes se présentaient sous la forme d’une planche à trou et hop, notre production tombait sur le tas de fumier (écolos avant l’heure). Un autre de ces chalets n’avait pas d’électricité. Avant mes quinze ans, j’ai dû aller trois ou quatre fois en France voisine, une fois en Allemagne et une fois en Italie (Domodossola). Nous ne jetions pas de la nourriture car nous n’en avions pas les moyens.
Alors, j’ai la conscience tranquille. Ce n’est pas moi – ni mes parents – qui ont tant pollué et compromis l’avenir de nos jeunes (si tant est qu’il soit compromis). Toi qui habite dans une maison individuelle de 300 m2 chauffée à 25 degrés pour pouvoir traîner en chemise et chaussettes, dont les parents ont deux énormes voitures, qui part en vacances à l’autre bout du monde, qui est né avec une cuillère d’argent dans la bouche, que fais-tu pour notre Monde?
Bien à vous!
De mon coté, je peux renoncer à Internet, à mon téléphone portable, à la télévision, à la voiture et à bien d’autres choses. Je peux aussi manger moins de viande et consommer local et c’est d’ailleurs exactement ce que nous faisons il y a quelques années.
Cher Michel,
Merci pour ce témoignage émouvant de ta jeunesse dans un monde ouvrier que je n’ai pas connu. Il me rappelle que nous n’avions pas le choix, ce dernier nous était imposé. Le bio? Introuvable en magasin. La voiture électrique? De la science-fiction.
Moi, je suis issu d’un milieu d’artisan petit-bourgeois, avec un niveau culturel assez bas, mais un bon sens terrien, une proximité et une compréhension de la nature héritée d’ancêtres paysans (à l’ancienne! Sans ces tracteurs dont les roues sont plus grandes que moi). Bref, un milieu peut-être indépendant, mais qui ne trimait pas moins qu’un ouvrier. Mon père était maçon indépendant, sans ouvrier.
Je n’ai pas vraiment de souvenir d’avoir manqué d’argent ou de nourriture. J’ai manqué d’un père qui bossait sans arrêt, même pendant les week-ends et les vacances, pour rénover des chalets, dont nous ne profitions pas vraiment; puisque lorsque l’un était terminé, il fallait en commencer un nouveau. Les vacances? A bosser au chalet. La plupart de nos légumes provenaient de notre jardin.
J’ai vu la première fois la mer lors de mon voyage avant la confirmation. J’avais 16 ans. 15 minutes; sans pouvoir s’y baigner. Ce n’est que bien des années plus tard que j’ai découvert ce qu’était une baignade dans la mer. Mon premier voyage en avion? Le voyage de bac: direction les Pays Baltes… en 1992… Vol sur de vieux Tupolev de a LOT. Les Pays Baltes venaient de déclarer leur indépendance, l’Armée Rouge occupait encore le territoire. Officiellement, une zone de conflit; avec les trous des balles de Kalashnikov dans les vitres du parlement de Lettonie que nous avons visité. Impensable pour notre Département, aujourd’hui. Pourtant, de tous les voyages, de toute ma vie, c’est celui qui m’a le plus marqué. Celui qui m’a le plus appris. Celui qui a contribué à créer l’homme que je suis aujourd’hui.
Il y a 25 ans, mon père m’a dit: j’ai payé pour que tu puisses avoir une Maturité en Scientifique. Tu dois donc être capable d’installer l’électricité dans les chalets, avec des panneaux photovoltaïques. On était à l’époque des pionniers. On n’avait pas Internet pour trouver des tutoriels. Je l’ai fait. Trois fois. La dernière installation, âgée aujourd’hui de 20 ans, fonctionne toujours. Niveau bilan carbone, c’est pas mal.
J’ai pas à rougir de mon bilan carbone de jeune petit bourgeois. Locavore, énorme jardin pour subvenir à nos besoins de légumes. Pas de voyage. Je plaide non coupable.
Reste mon bilan carbone actuel. Et là, j’ai un problème. Je travaillais sur la Côte. Mon salaire de jeune prof ne me permettait pas de me loger. J’ai cherché à acheter. Pas le choix, j’ai dû trouver une zone périphérique et campagnarde. C’est tout ce que je pouvais me payer. Impossible de construire. J’ai acheté une vieille école de 1914 au fin fond de la campagne fribourgeoise. Un gouffre énergétique. Pas de transports publics. Tous les jours, je suis obligé de faire 100 km en voiture (un aller: 45 min en voiture, 2 heures en transports publics, sachant que je dois quand même prendre ma voiture pour un bout du trajet, faute de transports publics). J’ai voulu remplacer mon chauffage au mazout par du pellet suisse (bois compressé). Le Service de l’Environnement m’a mis tellement de bâtons dans les roues que j’ai changé ma chaudière pour remettre du mazout. Le mazout étranger semble poser moins de problèmes au service de l’environnement que les déchets de bois suisses. Je ne peux pas faire d’isolation périphérique. Je n’ai pas les moyens de faire l’isolation de la toiture, notre salaire d’enseignants à ma femme et moi, ne nous permet pas ce genre de dépenses. J’ai dépensé 10’000.- pour mettre des panneaux thermiques pour couvrir 60% de notre consommation énergétique pour l’eau chaude sanitaire, chauffée jusque là à l’électricité. Economie d’électricité par an: 200.-. Il me faudra 50 ans pour les amortir financièrement. J’aurai théoriquement 95 ans…
Acheter une Tesla? Trop cher. L’écologie est un hobby de riches.
Alors je lutte à mon niveau. Depuis que je suis propriétaire, toute l’électricité que j’achète est d’origine renouvelable (sachant que je contribue ainsi à gonfler les poches du Groupe E qui se sert au passage). J’ai posé un poêle à bois (qui m’a valu 2 ans de procédures contre le Service de l’Environnement, qui ne comprenait pas que je préfère brûler du bois, produit dans ma commune, à 300m de ma maison, tout en permettant à un agriculteur de montagne de faire un petit appoint financier en me le vendant, plutôt que de brûler du pétrole provenant de la Péninsule arabique, alimentant ainsi en francs suisses des dictatures phallocratiques).
J’ai fait ma part. Durant des décennies. Mais j’en peux plus. Je suis épuisé de lutter contre la bureaucratie de ce pays, fatigué de me voir reprocher les fautes des plus riches, des plus nantis, de ceux qu’on protège pour emmerder le citoyen qui fait preuve de bon sens.
Greta, je t’admire et te respecte. Parce que du haut de tes 16 ans, tu as compris ce que j’ai mis des décennies à comprendre. Tu ne nous culpabilises pas, nous, les petits. Tu ne t’estimes pas meilleure que nous. Tu es nous. Tu es notre voix. Tu t’adresses, les yeux dans les yeux, à ceux qui nous gouvernent et nous imposent leur vision égocentrique et financièrement intéressée du monde. Toi, tu nous dis: « bravo, continuez vos efforts ». Mais à eux, que nous n’avons jamais osé affronter, y compris dans les urnes, tu dis: « il est temps de rendre des comptes ». À quoi bon les films de superhéros quand on a Greta? Merci.
Merci pour ce texte et ton amitié. Je nous souhaite – et surtout à nos enfants – de pouvoir vivre en paix sur une Terre respectée (mais j’ai des doutes, surtout en ce qui concerne la Paix).