Ton visage dans le reflet de la vitre

Bonjour,

Aujourd’hui petit texte pour me faire plaisir.

Le train roule entre A et B. Il fait déjà nuit. La voiture est bruyante – quand je prends le train, je monte en voiture pas dans un wagon – car nos camarades de classe se laissent aller à un des travers (par les traverses de la voie) de la jeunesse: parler fort et vouloir avoir raison. Tu n’est pas comme eux. Je ne suis pas comme eux. Malheureusement, nos différences ne sont pas les mêmes et tu m’ignores superbement. Je guette le reflet de ton visage dans la vitre vers laquelle la fatigue et l’ennui te font pencher. Je te vois. Tu a la beauté classique des filles de la République et de l’Empire. Romaine, tu es. Tu en as les manières distinguées, les gestes lents comme – déjà – désabusés. Tes cheveux et tes yeux sont du même noir. Une reine tranquille au milieu des esclaves bourdonnantes. Derrière la vitre, la vie que nous ne partagerons jamais. Le train roule.

C’était il y a … quarante ans! Qu’es-tu devenue chère M…? Les dieux t’ont-il épargnée et peut-être même favorisée? As-tu eu – qu’est-ce que j’écris! – as-tu la vie que tu as rêvée ou as-tu dû t’abaisser à accepter des compromissions? Aujourd’hui, je ne te reconnaîtrai sans doute pas. Quand à toi, tu ne pourrais que m’ignorer ne m’ayant rencontré que dans l’espace étriqué et convenu de la relation de camarades de classe.

Depuis quarante ans, j’en ai pris des trains. Pourtant, chaque fois que je prends un train et qu’il fait nuit et que je vois le reflet d’un visage féminin dans la vitre, je pense à cet instant fugitif.

Jeunes gens et jeunes filles, rêvez autant que vous pouvez sans toutefois vous écarter du monde! Vous entrerez ainsi dans un univers que les gens sans imagination ne peuvent pas … imaginer. Vous aurez une riche vie intérieure qui vous tourmentera parfois et vous fera sentir souvent quelque peu « déplacé » mais c’est là le prix à payer pour ne pas être du troupeau.

Bien à vous!